Valentina Vezzali, l'adieu aux lames (2024)

Portrait

Légende de l'escrime, l'Italienne a annoncé sa retraite à 42 ans. Elle possède l'un des plus beaux palmarès de l'histoire du sport.

A 42 ans, Valentina Vezzali arrête l'escrime. Et raconter ses vingt ans de carrière au plus haut niveau est une authentique galère, tant sur la forme que sur le fond. D'abord parce que la fleurettiste a l'un des plus beaux palmarès de l'histoire du sport. Elle a gagné 56 médailles, 35 titres majeurs - aux Jeux Olympiques, aux championnats d'Europe et du monde, en individuel et par équipes - et que c'est compliqué à lister dans un papier. Et puis, parce que l'Italienne a un côté superhéros. Pas les extraterrestres qui ne ressentent pas la douleur, plutôt les plus humains du lot, ceux qui développent quelque chose de plus dès lors qu'ils se mettent un masque sur le visage et qui en souffriraient presque.

Valentina Vezzali s'entraîne depuis l'âge de six ans. A Jesi, où elle est née en 1974, elle côtoie très jeune Ezio Tricoli, qui y dirige une école d'escrime. Un maître, qui a lui même sa légende. Il a appris le fleuret pendant la Seconde Guerre mondiale dans un camp d'internement en Afrique du Sud. Avec des bambous. En 2010, la championne racontait àl'Equipe: «Il nous donnait parfois la leçon en tenant une arme dans chacun de ses bras pour nous apprendre à trier les informations. Pour travailler l'explosivité on devait se mettre en garde. Lui tenait son gant et le lâchait. Il fallait le rattraper avant qu'il ne touche le sol.»

Bourreau psychologique

L'équilibre, les appuis, les réflexes, la distance, la coordination des mouvements: derrière les succès de Vezzali, il y a d'abord une exceptionnelle maîtrise technique. Et une constante: elle s'en est servie pour écœurer ses adversaires et les faire gamberger. La française Adeline Wuilleme, l'une de ses victimes, résumait il y a quelques années: «Le problème avec Vezzali, c'est que vous avez déjà perdu avant même l'assaut, parce qu'elle possède un tel avantage psychologique sur les autres. Comme en plus elle est techniquement irréprochable et qu'elle ne lâche jamais rien, ça devient mission impossible.»

Elle joue en contre, patiente, anticipe avec un côté chieuse, râleuse et casseuse de rythme. Se met dans la tête de ses rivales. Rien de spectaculaire à l’œil nu lit-on ici et là, ce que la championne n’a jamais contesté. Pour expliquer ses succès, elle a systématiquement mis en avant le boulot, le mental et «la transpiration». Comme si elle devait à tout prix cacher un secret. Et c’est ce qui rend la chose encore plus dingue vu de loin : en dépit d’une longévité et d’un palmarès hors du commun, Vezzali a réussi à ramener ses performances à une dimension extraordinairement humaine, au point de vous faire hésiter à employer le terme «surdouée».

Son entraîneur de toujours, Giulio Tomassini, toujours dans l'Equipe, explique : «En Italie, on ne travaille pas quelque chose de fixe, on ne fait pas dans "l'escrime commandée". La particularité italienne, c'est de développer la vision, de sentir la distance et de savoir adapter ses coups. On travaille une tactique, puis on travaille la tactique contraire.»

La nuit, elle écoute battre son cœur

Tomassini, autre légende tiens. Un éleveur de champions, chez les hommes et chez les femmes depuis une vingtaine d'années, qui parce qu'il en avait assez du trop-plein de compétition, s'est exilé à Avignon, dans un club au départ dédié au loisir. Un coach qui la laisse se torturer psychologiquement pour aller chercher la médaille d'or. Et surtout, qui la laisse y aller complètement affamée.Ça donne des compétitions et des finales dont elle ressort avec une tête de chat de gouttière. Joint par téléphone, Olivier Lambert, ex-entraîneur des fleurettistes françaises, dit : «Il a une capacité à emmener des personnes psychologiquement compliquées vers une culture exceptionnelle de la gagne.»

Vezzali est son chef-d'œuvre. Chez la championne italienne, le technicien français a remarqué une forme de souffrance :«Vu de l'extérieur, pendant certaines compétitions, ses victoires ressemblaient à une vraie libération, presque un soulagement. Sa précocité, sa longévité, le nombre de titres, son exigence poussée à l'extrême : ça dépasse l'entendement.»

Vezzali est issue d’une famille aisée. Son premier entraîneur est son père, qui meurt d’un cancer quand elle a quinze ans. Elle est mariée à un footballeur anonyme, qui joue dans les divisions inférieures. Après avoir impressionné dans les catégories de jeunes, elle frappe fort pour sa première fois chez les grandes aux Jeux Olympiques d’Atlanta, en 1996. Une médaille d’or par équipes et une d’argent en individuel.

Après, c'est la moisson de titres et les surnoms. «La diva» - car râleuse -, «le boa» et «la cannibale» - plus flippants. Même certains de ses «échecs» sont mémorables. Aux JO de Londres, elle s'incline en demi-finale mais réussit à décrocherla médaille de bronze, alors qu'elle est menée de quatre touches à treize secondes de la fin. Elle revient, puis s'impose à la mort subite.

Elle refuse la péridurale

Elle raconte qu'il lui est arrivé d'écouter son cœur battre la nuit précédant une compétition. D'avoir peur avant les matches et de se sentir en transe pendant. Pour durer, son coach lui a appris à se détacher de l'escrime. Il lui a conseillé la danse. En 2009, elle a participé à une espèce de Danse avec les stars à la télévision italienne. Ce n'est pas son truc au départ, mais elle répétait quand même jusqu'à deux heures du matin. Son partenaire à l'écran, un pro, est ressorti de cette expérience complètement ébahi, impressionné par la personnalité de la fleurettiste.

Dans un autre registre, pendant sa première grossesse (en 2005), elle lâche complètement l’entraînement. Rien, pas même des exercices pour faire bosser le poignet. Elle prend une trentaine de kilos. Refuse la péridurale à l’accouchement. Quatre mois plus tard, elle est sacrée championne du monde à Leipzig, en Allemagne. Engagée avec une coalition de partis centristes, elle prépare depuis des années sa reconversion en politique.

Mardi, Valentina Vezzali a fini sur une médaille d’argent par équipes aux mondiaux de Rio. Moins bien qu’avant physiquement, elle n’est pas parvenue à se qualifier directement pour les Jeux Olympiques de cet été. Elle s’arrête là donc, sans jamais avoir menti sur son ambition: laisser une trace dans l’histoire de l’escrime. Mission largement accomplie : à ce niveau, son œuvre dépasse de loin le fleuret, l’escrime et l’Italie.

Valentina Vezzali, l'adieu aux lames (2024)

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